Thomas Patris


INTERVIEW
Tob : Bonjour Thomas, voici les questions que souhaitent te poser les internautes inscrits sur nos forums de discussion, ainsi que celles de l’équipe. Comment et à quel âge as tu été amené vers la batterie ?
Thomas : J’ai commencé vers 10 ans. A cette époque j’avais bricolé un set avec des barils de lessive sur lesquels je tendais des sacs en plastique avec des punaises, et que je jouais avec de grosses aiguilles à tricoter de ma mère. Pour le timbre de la caisse claire, j’avais mis au point un système très sophistiqué grâce à une spirale de cahier tendu sur un autre sac plastique qui servait de peau de reverb : un son d’enfer ! Etant issu d’une famille nombreuse et habitant dans une cité qu’on qualifierait aujourd’hui de « sensible », le seul choix que j’avais était de squatter les batteries de certaines de mes connaissances plus favorisées. A 15 ans, je ne supportais plus le décalage entre ce que je voulais jouer et ce que je n’arrivais pas à jouer. J’ai donc décidé de prendre des cours.
Tob : Quel cursus as-tu suivi ?
Thomas : J’ai débuté en cours particulier avec Christian Nicolas qui était alors en supérieur chez Dante Agostini. C’est un excellent batteur et percussionniste qui a introduit en France les tambours Bata. Il a fait par la suite un remarquable travail d’ethnomusicologie. Je suis resté trois ans avec lui. Il m’a alors présenté à Dante afin qu’il m’auditionne pour savoir si je pouvais entrer directement en supérieur. C’était à Noël 78 et j’ai obtenu le premier prix en juin 79. Dante était la référence européenne en matière de pédagogie et cela m’intéressait doublement car je donnais déjà des cours de mon côté. Il nous appelait ses collaborateurs et nous donnait, lors de séances qui pouvaient durer toute une journée, des partitions à déchiffrer qu’il avait écrites pendant la semaine. Il nous poussait également à composer par nous-mêmes. J’ai eu la chance de faire partie des derniers à l’avoir connu et apprécié. Parallèlement j’avais démarré les percussions classiques dans différents conservatoires avant de rentrer à Versailles avec Sylvio Gualda. Il était à l’époque le timbalier solo de l’opéra de Paris, faisait de nombreux récitals en tant que soliste, et était un Maître pour nous tous (c’est là qu’on s’est connu avec Simon Goubert). C’est à partir de ces bases que j’ai développé à la fois mes propres concepts, ma propre gestuelle, et ma propre pédagogie.
Thomas : J’ai travaillé comme un furieux l’instrument (15 heures par jour en moyenne), notamment entre 17 et 19 ans. Journée type : 4h30 lever ; 5h30 départ vélo ; 6h00-10h00 séance de pad intensif avec un ami batteur percussionniste (dans le jardin de la MJC où je sévissais) par tous les temps, 7 jours sur 7. Chaque heure était agrémentée d’une petite série de 100 pompes ; 10h00-13h00 travail instrumental ; 13h-13h15 break sandwich d’une main en padant de l’autre ; 13h15-15h reprise du travail batterie ; 15h-20h répétition en groupe (compos persos) ; parfois 20h-23h reprise de la batterie histoire de rester en jambes et en poignets ! Retour vélo ; repas rapide, et au lit avec le casque sur les oreilles histoire de ne pas se disperser ; vers minuit je sombrais dans un coma profond traversé de crampes (aux jambes surtout) et du souffle provenant du casque.
J’ai compris au fil des années que la méthode de travail et la conscience permettaient de réduire considérablement les heures de labeur abrutissant. J’ai mis au point des exercices fondamentaux de technique de caisse, de pieds, de coordination et d’indépendance que je transmets à mes nombreux élèves et qui me permettent au quotidien de concentrer en quelques heures seulement un travail redoutablement efficace. Journée type actuelle : le matin 1h d’assouplissements et de musculation ; 1h30 de pad (mains et pieds) ; 1h30 environ de jeu sur batterie ; après-midi jusqu’au soir : répétition ou composition ou, certains jours, cours.
Thomas : J’ai très tôt ressenti que la batterie était limitée par son statut exclusif d’instrument d’accompagnement et qu’elle avait en elle un potentiel très riche et inexploité. Mon expérience des percussions classiques m’avait sensibilisé à l’aspect mélodique et je ne comprenais pas pourquoi la batterie devait être privée de cette richesse. J’avais envie de la hisser au rang d’instrument soliste à part entière et de composer une pièce spécialement pour elle, et qui n’avait rien à voir avec un solo de batterie habituel.

Thomas : Probablement par une synthèse même inconsciente des nombreux batteurs et récitals en percussions solos que j’écoutais à l’époque. Il est difficile de faire la part de ce qui nous imprègne, de ce qu’on transforme, de ce qu’on trouve par hasard, de ce qu’on cherche, de ce qui nous vient sans qu’on le veuille. La création a sans doute toutes ces facettes et bien d’autres encore qui nous dépassent. Sinon je n’ai jamais fait de relevés ni tenté de reproduire des rythmes traditionnels ou folkloriques afin de puiser plus en moi. Je trouve cette démarche plus créative.
Thomas : Très jeune, j’ai joué dans des groupes. L’un deux, dans lequel jouait également mon ami d’enfance le saxophoniste Eric Barret s’appelait Kyo (c’était il y a 30 ans !). J’ai ensuite formé mon propre groupe Nekam dans lequel Hélène (ma femme) est entrée en 79. C’est là que le duo a émergé.
J’ai commencé à diffuser ma pièce pour batterie au début des années 80 et je n’ai jamais fait le métier en tant que side-man. J’ai beaucoup d’amis batteurs qui le font merveilleusement bien. Chacun fait ce qu’il aime. De mon côté, je préfère rester concentré sur les objectifs que j’ai choisis.
Tob : Tu es un professeur de batterie qui a du voir passer chez toi de nombreux batteurs aujourd’hui connus comme Maxime Zampieri par exemple. Quand tu dis « le geste c’est le son » : est ce une des choses que tu enseignes en priorité à tes élèves ? Sinon quelles sont les choses que tu essayes de transmettre aux élèves en priorité?
Thomas : Effectivement, le travail sur la gestuelle est essentiel. En ce sens la pratique du karaté quand j’étais ado m’a beaucoup appris. J’aimais particulièrement les katas qui sont des combats imaginaires sur un tracé très précis. Ce sont des mouvements très dansants qui me rappelaient les cours de danse classique de mon enfance. Je sensibilise directement mes élèves à la conscience du corps, du positionnement, de l’équilibre, de la respiration sans laquelle tout le reste n’a aucun sens. Un beau son est forcément la résultante de la maîtrise de tous ces paramètres.
Thomas : La préparation d’un concert est la simple continuation d’un travail quotidien. La seule différence c’est qu’au lieu de jouer le solo dans mon studio, je le joue sur scène.
Thomas : On en reparle dans 10 ans…
Thomas : Elles ont tous les atouts : souplesse, robustesse, parfaite adhérence au pied, et finesse de la semelle qui permet de sentir les pédales.
Thomas : Toujours plus de fluidité en solo. Et pour le duo piano-batterie toujours plus d’écoute et de dialogue musical.
Thomas : Cela s’est fait au fil des années et je ne souhaitais pas intégrer de percus pour rester vraiment dans l’esprit batterie. Le cercle formé par les cymbales et le gong participe à la richesse harmonique de mon set.
Thomas : De l’eau a coulé sous les ponts depuis ma première Pearl, offerte par mes parents pour mon bac à la place du permis de conduire ! Jacques Capelle s’est appliqué à réaliser mes exigences les plus folles ! Il est apparu qu’un mélange équilibré érable/acajou optimise le son dans tous les types de fréquence. Les colles ont été soigneusement choisies pour permettre aux cinq plis de vibrer pleinement. Les cercles moulés renforcent encore la rondeur et le sustain. Les profondeurs ont été calculées pour être parfaitement équilibrées avec les diamètres des fûts.
Thomas : J’utilise également d’autres types de peaux (Fiberskin 3 Remo et Modern vintage Aquarian). De toute façon, l’essentiel vient de la maîtrise de l’accord.
Thomas : Elle est accordée sur une gamme pentatonique, des graves vers les aigus : la #, do, ré, fa, sol. Pour l’accord, il faut d’abord déterminer le registre dans lequel un fût sonne le mieux. Ensuite, chacun décide des intervalles entre chaque fût. Et enfin il faut trouver la note juste pour chacun d’eux. Je conseille d’accorder toujours en premier les peaux de reverb et de régler les peaux de frappe à l’unisson. On peut récupérer encore plus de sustain, de précision et de brillance en accordant les peaux de reverb plus aigues.
Tob : A ce propos, quand tu expliques que tes 5 fûts sont accordés sur une gamme pentatonique, peux tu expliquer à nos lecteurs comment tu procèdes pour déterminer ces notes musicales : utilises-tu un accordeur, un diapason ?
Thomas : J’utilise un minidisc sur lequel les notes sont enregistrées au piano.
Thomas : Ayant un contrat en or avec Sabian, je peux choisir chaque modèle de cymbale parmi des centaines d’autres, directement à l’entrepôt et les renouveler quand ça me chante. Il y a environ 15 ans, j’ai eu la chance de rencontrer Mathieu Auberlé qui a vécu plusieurs années en Chine et qui importait de façon artisanale de superbes instruments qu’il sélectionnait lui-même sur place. C’est grâce à lui que j’ai acquis les chinas et le « gong ». Ce dernier qui en fait est un tam est composé de 7 métaux différents et on l’utilise en Chine pour les vertus curatives de ses vibrations. Il a besoin d’être « chauffé » par un jeu très progressif sinon il risque de se fendre. Il est la clef de mon spectacle.
Thomas : Je souhaite qu’aucune cymbale, aussi amplement qu’elle puisse être jouée, ne cogne contre une autre. Le choix des différentes hauteurs participe au déploiement des harmoniques. Les deux grandes chinas sont placées à l’arrière afin de ne pas couvrir les autres. En 93, j’ai eu une opération très grave du dos après laquelle j’ai du réapprendre à marcher et donc à jouer. Je donnais même mes cours allongé ! C’est à cette période que mon set de batterie s’est encore un peu condensé afin d’optimiser la gestuelle et de protéger davantage mon dos. Au passage je conseille à tous de faire attention à la façon de porter le matos pour préserver cette zone si importante de notre corps : ne pas porter de poids en se penchant en avant, garder le dos droit et s’accroupir, puis relever la charge en poussant sur les jambes et en prenant le poids sur les cuisses.
Thomas : J’ai sans doute introduit des polyrythmies nouvelles mais à partir d’un vocabulaire universel. En revanche j’ai beaucoup développé le jeu à deux baguettes simultanées.
Thomas : Pour éviter l’ennui, il fallait que le tout soit riche donc très polyrythmique, musical donc phrasé, nuancé et mélodique, visuel, et enfin varié dans l’alternance de parties écrites et d’improvisation. Le plus difficile dans le cas d’un morceau qui dure plus d’une heure est de trouver sans lasser un fil conducteur qui mène d’un point à un autre de façon naturelle. C’est tout l’art de l’enchaînement qui est ici en jeu. Tout doit couler de source, du début à la fin du cycle.
Thomas : Pas du tout . C’est l’instrument qui me l’a soufflé !
Thomas : Deux choses : la nécessité et le plaisir de jouer des polyrythmies, notamment sur des ostinatos ; et la maîtrise de l’indépendance réelle qui n’est plus de la coordination à ce niveau de jeu. Ainsi, on peut jouer des phrasés élastiques, ralentir, accélérer, faire ce qu’on veut sur une base totalement régulière. C’est très jouissif.
Thomas : Les trois à la fois.
Tob : Pour toi, quelle est l’aspect le plus difficile à maîtriser quand tu donnes un tel spectacle, l’effort physique ou la concentration ?
Thomas : Probablement la concentration sur une telle durée.
Thomas : Je n’ai rien contre l’amplification à condition qu’elle soit bien faite. Et c’est malheureusement trop rare !
Thomas : Sa question tombe à pic. Je tourne début mars en vue de la réalisation d’un dvd.
Thomas : Je crois qu’il y a suffisamment de matière et d’aspects divers pour que chacun et chacune puisse y trouver son compte. D’ailleurs, mon public est très diversifié.
Thomas : Disons correctement.
Thomas : Nous avons fait des concerts ensemble en duo dans les années 80-82 puis nous avons continué à travailler tous les deux chez nous depuis ce temps-là. Nous composons également pour divers instruments grâce à l’informatique musicale. Actuellement nous avons le projet de graver le duo. Nous sommes très complémentaires et polyvalents dans notre travail. Pour l’extrait mp3 du morceau « Course pour fuite » (NDR : que Thomas et Hélène nous offrent en exclusivité !), nous avons essayé de présenter des climats variés dans un temps imposé très court, et avec nos instruments acoustiques.
Nous ressentons la nécessité de nous reconnaître, de nous découvrir et de nous dépasser par l’expérience de la création que nous aimons partager. L’art a toujours été pour nous un guide, un soutien et un but lors des épreuves que nous avons du traverser. Il est aussi, allié à l’amour, un fantastique outil de transformation de soi.
Cette complicité musicale et cette union sont tellement intenses et riches qu’elles me comblent entièrement et que je n’aspire pas à d’autre expérience.
Thomas : La préparation de mon DVD, les compositions du duo (nous écrivons et arrangeons nos parties tous les deux) et mes compositions personnelles.
Tob : Juste par curiosité, que représente le pendentif que tu portais pendant ton concert ?
Thomas : Il s’agit d’une fléchette que j’ai fait tailler dans du jais d’après un bijou en hématite d’Hélène.
Thomas : Les musiciens qui me touchent sont ceux qui sont sincères et entiers. La liste serait trop longue…
Thomas : Sans aucune hésitation avec Hélène. Elle est la personne qui me passionne et me motive le plus.
Tob : Un grand merci à toi, Thomas, de nous avoir permis d’assister à ton spectacle, de faire ta connaissance ainsi que celle d’Hélène, et d’avoir écrit ces deux dossiers pédagogiques pour nos amis lecteurs internautes ! On te souhaite tout le bonheur possible pour cette année 2006 et celles qui suivront bien évidemment !
Photos : Niko, Plume et Cédric ©Latoiledesbatteurs.com